ULiège, Fabrique des Possibles

Sophie Trachte : bâtir la transition 

Osons l’impossible !


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Alors que le réchauffement climatique nous oblige à plus de sobriété énergétique, Sophie Trachte, architecte spécialiste des questions de rénovation durable et circulaire des bâtiments, y voit une formidable opportunité : celle de refonder nos modèles de pensées, pour que construction et rénovation riment enfin avec gestion éco-responsable des ressources et déchets.

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Que ce soit pour avoir chaud en hiver ou rester au frais en été, nos bâtiments sont un des premiers postes de consommation d’énergie. C’est la raison pour laquelle l’Union européenne oblige ses états membres à augmenter drastiquement le taux de rénovation de son bâti à l’horizon 2050. Or, « ces opérations de rénovation vont nécessiter une grande quantité à la fois de matériaux et d’énergie, et générer une masse considérable de déchets, avertit Sophie Trachte, professeure de construction et rénovation durable, circulaire et performance à la Faculté d’Architecture de l’ULiège. L’atteinte d’un PEB A (Wallonie) ou C (Bruxelles) ne devrait pas être un objectif sacro-saint qui se ferait au prix d’un impact environnemental dramatique au niveau des ressources. »

Il faut dire que la chercheuse connaît bien ces questions. Et c’est parce qu’elles l’ont longtemps habitée durant sa première vie d’architecte que Sophie Trachte est retournée à l’université, avec l’idée de trouver elle-même des réponses. « Lors d’opérations de rénovation, j’ai trop souvent été témoin de fortes destructions, avec des containers remplis de matériaux considérés comme des déchets alors qu’ils étaient encore en très bon état », évoque-t-elle.

Consciente que, comme elle, d’autres doivent se poser les mêmes questions, l’architecte devenue chercheuse s’est spécialisée dans la réhabilitation durable et circulaire du bâti existant « afin qu’il soit de nouveau utilisable/habitable tout en répondant aux enjeux modernes de confort. » Elle s’intéresse également au développement de nouveaux matériaux à partir de déchets de construction, ainsi qu’aux principes d’adaptabilité et de réversibilité lors de la construction des bâtiments. « À mon sens, l’architecte a un rôle de prévention en amont, afin d’éviter au maximum la production de déchets en fin de vie du bâtiment, juge-t-elle. C’est pourquoi nous travaillons sur de nouveaux systèmes constructifs réversibles qui facilitent le démontage futur. Il est essentiel pour moi que mes travaux de recherche percolent vers le secteur pour l’aider à se transformer et aller vers davantage de durabilité. »

Réactiver notre mémoire collective

Pour Sophie Trachte, les objectifs de rénovation imposés par l’Union européenne sont l’occasion rêvée de remettre au goût du jour des matériaux bio et géosourcés, aux multiples propriétés. « Le bois, les fibres végétales, ou encore la terre et l’argile sont des matériaux biosourcés ou géosourcés qui nous accompagnent depuis plus de 10.000 ans, explique-t-elle. Pour cette raison, j’ai l’intime conviction qu’ils sont dans notre ADN et notre inconscient collectif, et j’ai à cœur de réactiver cette mémoire, en les utilisants dans des solutions constructives traditionnelles ou nouvelles et innovantes. »

Selon la chercheuse, ces matériaux sont "équilibrés". Ils présentent d'abord de nombreuses propriétés physiques et techniques intéressantes notamment en termes de comportement hygrothermique. Ensuite, ils valorisent des territoires, des ressources et des savoir-faire locaux. Enfin, ils soutiennent nos objectifs de neutralité carbone en stockant dans leur matière organique du carbone sur des temps longs. Ils soutiennent également nos objectifs d'économie circulaire en étant souvent des sous-produits et co-produits de l'agriculture ou sylviculture, en étant peu transformés et réutilisables. Mais surtout, ils sont également plus faciles à mettre en œuvre. « Ils sont agréables à manipuler, et nécessitent des techniques de construction simples, beaucoup plus accessibles et compréhensibles pour tout un chacun. Et ils pardonnent aussi aisément les erreurs qu’on peut commettre en les utilisant », sourit-elle encore.

Par ses travaux dans le domaine et ses enseignements, Sophie Trachte espère qu’elle et ses collègues auront le pouvoir d’infléchir la politique actuelle de rénovation mise en œuvre. « Réutiliser les bâtiments en les transformant fait réellement partie de notre culture, estime-t-elle. Mais la situation socioéconomique actuelle est telle que si on oblige un grand nombre de citoyens à rénover leurs bâtiments, ceux-ci vont se tourner vers des solutions bon marché qui ne feront que déplacer le problème d’ici 20 à 30 ans en termes de déchets ! »

Pour l’architecte, cela tient en partie à l’unité utilisée. « Nous comptons l’énergie dépensée en kilowatt-heure par mètre carré, alors qu’en réalité, il faudrait considérer le bilan énergétique global des personnes (chauffage, transport, consommation), songe-t-elle. Ainsi, on peut vivre en rase campagne dans une maison au standard énergétique passif, et en perdre tout le bénéfice énergétique par des déplacements quotidiens en voiture vers son travail ou son bureau. À l’inverse, on peut rénover un bâti urbain ancien de façon à le rendre modérément performant, mais choisir de se déplacer en transport en commun et consommer local. Je pense réellement qu’un tel calcul permettrait de faire prendre conscience aux citoyens de l'impact énergétique de leurs comportements mais aussi de leur laisser le choix de décider sur quoi ils veulent. »

Élargir la pensée

Face au défi qui s’annonce, Sophie Trachte a pris le parti de ne pas sombrer dans l’anxiété ou le fatalisme. « Nous vivons un momentum très particulier de transition, qui me motive et me fait vibrer ! s’enthousiasme-t-elle. Et face à cela, je me dis que, tant qu’à faire, osons l’impossible ! Continuons à avancer, à trouver le courage de nous mettre en marche face à ce monde et à ces enjeux majeurs pour lesquels nous devons trouver des solutions. Nous ne devons innover à n’importe quel prix. Il faut le faire en allant vers davantage de sobriété et d’équité sociale, en œuvrant pour notre écosystème et pour tous les citoyens du monde. »

Une démarche volontaire qu’elle cherche également à transmettre à ses étudiants et étudiantes. « Je suis tellement honteuse de ce monde qu’on leur laisse et dont ils devront assumer les changements profonds qu’il subit, songe-t-elle. J’essaie de leur apprendre qu’il va leur falloir trouver le courage de se limiter, et que la seule manière de le faire sera de le faire ensemble, en mettant en commun les intelligences et les compétences. C’est pour moi le rôle de l’université de susciter des recherches multidisciplinaires qui élargissent la pensée, afin de la rendre plus complexe et plus équitable. Car je suis convaincue qu’on trouvera des solutions en changeant le mode de pensée qui a créé les problèmes actuels. »

 


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Faire en sorte que les villes et les établissements humains soient ouverts à tous, sûrs, résilients et durables Le onzième objectif vise à réhabiliter et à planifier les villes, ou tout autre établissement humain, de manière à ce qu’elles puissent offrir à tous des opportunités d’emploi, un accès aux services de base, à l’énergie, au logement, au transport, espaces publics verts et autres, tout en améliorant l’utilisation des ressources et réduisant leurs impacts environnementaux.

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