ULiège, Fabrique des Possibles

François Mélard : interroger la science au regard de son utilité sociale

Sur les épaules d’un être vivant


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"Les citoyens d’un territoire ont des compétences que les scientifiques n’ont pas." Et pour François Mélard, sociologue à l’ULiège, c’est parce que ces territoires vont se trouver bouleversés par le changement climatique que la science doit apprendre par et avec eux comment vivre autrement dans cette maison qu’on appelle la Terre.

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En digne héritier des enseignements du sociologue Bruno Latour, son promoteur de thèse, François Mélard s’intéresse aux gens, mais aussi et surtout au monde dans sa globalité et sa complexité. « Je travaille avant tout sur les nouvelles conditions d’habitabilité de la Terre, raconte-t-il. Avec le réchauffement climatique, les conditions écologiques, énergétiques et sociales se dégradent, et nous devons repenser notre manière de vivre sur cette planète. »

Pour lui, le diagnostic est clair : « Nous sommes en train d’apprendre que nous vivons en réalité sur une planète qui réagit à nos actions, comme si nous étions sur les épaules d’un être vivant, illustre-t-il. Cela signifie que, désormais, nous devons repenser les conditions d’une solidarité renouvelée, et prendre soin de cette mince pellicule d’atmosphère qui nous fait vivre. C’est pour cette raison que je travaille dans une démarche transdisciplinaire : il ne s’agit plus seulement de questions sociales, économiques ou politiques, mais également physico-chimiques, hydrauliques et géologiques. »

Une situation « anxiogène », certes, mais en même temps « extrêmement motivante, parce que nous sommes dans une époque de révolution, comme on l’a connu avec Copernic », pense le sociologue. Une révolution qui a pour cause l’Anthropocène, ce nouvel âge géologique marqué par l’influence déterminante des activités humaines sur le système-Terre. Mais à une question globale, le sociologue veut apporter des réponses locales. « Les COP ont bien sûr leur utilité, nuance-t-il. Néanmoins, les solutions et enjeux devront être locaux, car le changement climatique impacte les territoires de manière différente. Nous devons demander aux gens ce dont ils dépendent au quotidien, et ce qui est important pour eux. Car nous devrons faire des choix, et il est préférable que ces derniers soient co-accompagnés par les scientifiques et les pouvoirs publics, plutôt que de placer le citoyen devant le fait accompli. Car alors la violence prévaudra. »

Des solutions locales

Il faut dire que François Mélard connaît bien l’importance et la puissance de ce qu’il nomme « les sciences situées », c’est-à-dire « ces pratiques scientifiques enracinées dans les territoires et rendues capables de rendre compte de la diversité des façons dont la nature est pensée et vécue par les pratiques des populations. » 

Une expérience vécue d’abord dans les Ardennes, avec la création d’un comité citoyen de gestion de la forêt capable d’en prendre soin. Mais aussi et surtout à Fos-Sur-Mer, près de Marseille, où ce qui était autrefois un port de pêche est devenu une coextension d’un complexe industrialo-portuaire polluant l’eau, la terre et ses habitants. Il y a étudié en compagnie de la sociologue française Christelle Gramaglia (INRAe) un dispositif de recherche inhabituel, l’Institut Écocitoyen pour la Connaissance des Pollutions. « L’idée derrière cet Institut, c’est de mener la recherche en collaboration avec les citoyens, en partant de leurs problématiques, révèle-t-il. Et c’est très important, car nous avons besoin d’une science capable de se mettre au contact des personnes touchées par des problèmes et les accompagner dans leurs démarches de connaissances et d’action. »

Les habitants d’un territoire, les riverains, les usagers, les patients, ont des savoirs qui n’ont pas l’habitude d’être pris en considération par la science ou l’administration. « Ainsi, à Fos-sur-Mer, il s’agit, par exemple, des connaissances des pêcheurs ou de riverains sur leur milieu de vie, détaille le sociologue. Nous avons participé à rendre compte de ces nouvelles pratiques scientifiques par lesquelles  ces habitants participent aux choix des espèces vivantes sentinelles, comme le congre ou certains lichens, afin de rendre compte de façon plus juste de la manière dont la pollution les impacte. »

Pour François Mélard, la science a tendance à négliger le contexte. « On a trop souvent pensé que l'on pouvait avoir des protocoles ou un monitoring environnemental qui puisse s'affranchir de la localité, regrette-t-il. Par exemple, à Fos-sur-Mer, les indicateurs de pollution qui étaient initialement utilisés étaient conçus à Paris, ou pour le milieu fluvial, et donc absolument pas représentatifs de la singularité des lieux. »

Le sociologue nomme cette démarche « la démocratie technique ». Car derrière les choix techniques, « il y a en réalité des choix sociaux et moraux, des valeurs qu’on laisse trop souvent entre les mains des scientifiques et experts, explique-t-il. Bien qu’ils aient l’intuition que les citoyens détiennent certains savoirs, ils ne savent pas comment les prendre en compte. Et c’est là que les sciences sociales ont aussi un rôle à jouer, rétablissant cette connexion entre citoyens et scientifiques. »

Le chercheur et le citoyen

À l’instar d’un monde en perpétuel changement, François Mélard défend une vision de la science qui continue à s’interroger sur sa propre utilité sociale. Une attitude qu’il tente de cultiver aussi chez ses étudiants et étudiantes. Par le biais d’un séminaire transdisciplinaire en environnement, il tente chaque année d’amener des étudiants en sociologie, en anthropologie, et en médecine à explorer une question environnementale locale controversée, où il n’y a pas de consensus sur les connaissances produites et les solutions à apporter. « C’est pour moi le rôle de l’université d’amener les étudiants à réfléchir en situation d’incertitude, pense-t-il. Nous avons l’habitude de leur apporter des connaissances stabilisées et vérifiées. Mais comment feront-ils après, dans leur vie professionnelle, une fois confrontés à des situations où ils ne peuvent appliquer un protocole établi ? Nous devons leur apprendre à cultiver l’hésitation et le doute en faveur de leur curiosité et leur créativité ».

Un doute qu’entretient volontiers le sociologue, au point d’interroger continuellement la place et le regard du chercheur sur le monde. « Nous sommes véritablement au cœur de la Fabrique des Possibles, veut-il croire. D’une part parce qu’on ne peut se contenter, comme on l’a toujours cru, d’observer la Nature, nous devons nous y impliquer pleinement. Et d’autre part, parce que nous ne sommes pas des découvreurs. Nous sommes plutôt des inventeurs, c’est-à-dire des gens qui inventent des solutions aux problèmes rencontrés. C’est une immense responsabilité qui n’implique désormais plus seulement les humains, mais tout le vivant. »

 


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